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Bonne lecture
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Les Kolgans
Résumé : « Clan brutal et cruel, il cherche à accomplir la Saga du brave. Il s’agit d’un très vieux mythe qui raconte que les Kolgans, jeunes guerriers impétueux, furent jetés hors du paradis de leurs ancêtres pour avoir bravé les anciens dans une joute oratoire où ils les ont nargués de n’avoir accompli aucun exploit digne d’être raconté pour l’éternité. Ils ont donc été maudits et errent de par le monde afin d’accumuler les meilleurs exploits guerriers et de payer leur dettes aux anciens. »
Légende # 1
L’assemblée était joyeuse et le bruit des discussions s’intensifiait à mesure que la bière noire des tonneaux de Baran se déversait dans les chopes cliquetantes. La conversation avait vite tourné aux récits de guerre et aux aventures de grands chemins. Les hommes se relançaient au fur et à mesure que la veillée avançait et certains, plus réchauffés que d’autres, tournaient leurs histoires en chansons et gestes inspirés. Parmi cette joyeuse foule, un grand gaillard semblait particulièrement animé et attirait de plus en plus l’attention.
Ce qu’il contait avait la force de faire taire même les plus guillerets et fascinait les hagards. On aurait dit une mère qui, lors d’une nuit d’hiver, raconte une histoire féérique à ses enfants blottis. On le regardait donc avec émerveillement narrer les aventures mythiques de guerriers aux côtés desquels il s’était jadis battu. Pourtant, au milieu d’un récit de bataille particulièrement intense, un homme rustre, qui venait à peine d’entrer dans la salle commune du gîte, harangua le conteur :
« Qu’est-ce qu'il ne faut pas entendre! Va plutôt faire le brave dans les cuisines, les femmes seront davantage crédules! Si tes yeux ont vu ce que tu nous raconte, alors que fais-tu parmi nous? Aurais-tu fuis le combat? Disons que c’est plutôt une de ces histoires qu’on entend de la bouche d’un vantard itinérant. On est peut-être des paysans, monseigneur, mais on n’est pas dupe »
Un silence pesant suivit la question et les gens se tournèrent à la fois vers le nouvel arrivant, incrédules devant tant d’impolitesse, et à la fois vers le conteur, attendant intensément sa réaction...qui vint bien assez vite. Le conteur se leva, laissant paraître sa stature, puis son visage profondément enfoui sous une barbe de vieillesse. On put tout de suite dire que le conteur ne venait pas de la région, à la façon dont il était bardé et à son physique imposant qu’arborent généralement les hommes d’armes.
Lorsqu’il se leva pour fixer l’impudent dans les yeux, une sourde tension se dissémina dans la salle. « Tu veux savoir pourquoi je sais ces choses? Connais-tu la Saga du brave des Kolgans, fermier? Et bien apprends pourquoi je sais ces choses, et si ce n’est pas le meilleurs récit que tu n’aies jamais entendu, eh bien c’est que tu as du coton dans la cervelle! »
Un sourire narquois illumina son visage ridé et tous furent rassurés. Le vieil homme se mit à arpenter le plancher de bois imbibé de bière et commença son récit d’une voix grave et solennelle. Ce qu’il s’apprêtait à raconter est l’histoire du clan Kolgan.Tous se turent et écoutèrent. Il fut bien tard lorsqu’il mit fin au récit, mais personne n’avait bougé et, hypnotisés qu'ils étaient, les témoins avaient à peine trempé leurs lèvres dans leurs chopes. À la fin, on remercia même le bougre qui avait osé interrompre l’étranger.
Voici ce qu’il raconta : « On dit qu’autrefois, mon clan s’est fait jeter en dehors du paradis pour insubordination envers les anciens. Parlez-moi d’une affaire! Qui voulait de ce paradis ennuyeux de toute façon? Je loue chaque jour mes impétueux ancêtres d’avoir commis cet acte de bravoure : un paradis d’ennui est pire qu’un enfer brûlant!
Autrefois, les plus vaillants des nôtres se retrouvaient à la grande table ancestrale afin de profiter, pour l’éternité, d’un grand festin en compagnie de leurs pères. Malgré la mangeaille, qui était bien invitante avouons-le, tout le reste n’était que piailleries stupides et discussions endormantes. Nos ancêtres avaient rêvé d’un au-delà de causeries éternelles : ils en avaient fait l'empire de la monotonie!
On dit qu’une fois, lors d’une guerre sans merci, plusieurs de nos hommes tombèrent en un seul jour. Cette compagnie fraîchement décédée possédait un esprit de corps exceptionnel et les jeunes hommes qui en faisaient partie avaient juré que rien ne les sépareraient jamais et que, même dans la mort, ils seraient réunis... ce qui arriva bien assez tôt.
Arrivés à la grande tablée ancestrale, tous furent bien heureux de retrouver pères et grand-pères, et de profiter du repos de l’éternité, mais leur joie fut de courte durée. Rapidement atteints d’un mortel ennui, les compagnons d’armes constatèrent avec horreur que la vie leur ayant déjà été enlevée, plus rien ne pouvait les extraire de leur condition présente. Aussi, ils firent part de leur triste réalisation aux anciens qui furent plus qu’étonnés d’entendre de tels propos.
Leur réponse fut sans appel : « Jeunes fous, comment osez-vous refuser l’honneur d’être à cette table et de partager la compagnie de vos ancêtres? Rougissez de honte, car vous bafouez le privilège de votre peuple! Vous qui êtes jeunes et qui n’avez rien à raconter ne méritez pas cette place qui vous a été accordée par courage. La lâcheté et l’oisiveté vous fait parler. Quittez notre table, ces places sont réservées aux braves! »
La compagnie se leva d’un mouvement et déclara : « Est-ce un privilège que d’entendre vos jérémiades de vieillards pour l’éternité à venir? Nous ne voulons pas de ce privilège de vieille femme bavasseuse! Votre table ne sied pas à nos cœurs enflammés! » Sur ce, les anciens furent transportés d’un grand courroux et chassèrent la troupe du paradis, tout en leur lançant cet avertissement : « Retournez tous errer de par le monde afin d’apprendre l’erreur que vous venez de commettre en insultant nos traditions. Si ce sont des histoires que vous voulez afin de satisfaire vos bas instincts, alors allez les vivre! Vos âmes ne seront en paix que lorsque vous aurez accompli des actes dignes d’êtres contés. Sans histoires, vos âmes se perdront à jamais dans le néant de l’oubli. Vous êtes désormais bannis de l’outre-monde et notre peuple tout entier portera ce fardeau. Allez découvrir votre enfer ! »
C’est ainsi que les jeunes guerriers Kolgans réapparurent sur la terre de leur peuple, au plus grand étonnement de ce dernier. Les gens apprirent avec effroi la raison de ce retour et voulurent savoir ce que le destin leur réservait, eux qui étaient maintenant sous le joug de la malédiction. Le groupe de guerriers par qui tout était arrivé se réunit la soirée même, et tous prêtèrent un grand serment. On appelle ce serment la Saga du brave et, depuis cette nuit, chaque Kolgan voue sa vie à le respecter.
Voici ce qu’il fut décidé : « Puisque la vie d’un guerrier Kolgan se résume au récit qu’il peut en tirer, ce récit mesure la valeur du brave. Il n’est plus grand honneur que d’honorer la mémoire d’un homme en racontant ses exploits, et parce que la mémoire est ce qui oublie, le récit doit être le meilleur qui soit afin qu’il puisse durer éternellement dans la mémoire du peuple des Kolgans. Nous avons refusé une vie éternelle au paradis des nôtres pour une mémoire éternelle gravée sur la chair de notre peuple. Acceptons ces récits comme la toile qui fabrique notre grande destinée collective et chérissons la mémoire de ceux qui ont vécu une vie digne d’être à jamais racontée. »
Ainsi en fut-il décidé et les jeunes guerriers inspirés de cette nuit de pacte se donnèrent un code martial qu’on appelle encore aujourd’hui la Saga du brave :
« Il n’est une vie que celle qui est légendaire, une vie doit être digne de récit. »
« Il n’est une mort que celle qui est légendaire, une mort doit être digne de récit. »
« Il n’est d’adversaire que celui qui est légendaire, un combat doit être digne de récit. »
« Pour qu’une légende perdure, un conteur doit survivre. »
« L’histoire de notre peuple est notre bien le plus cher. »
« La mémoire des nôtres doit s’inscrire ici-bas. »
« Pire que la mort, l’oubli. »
Voilà bien longtemps que ces jeunes guerriers sont tombés, mais nous en gardons tous un vif souvenir. Ces fondateurs du grand serment ont vécu selon leurs principes. Voyez ce symbole sur mon baudrier, il s’agit du sceau de Karl Sans-Peur, le plus jeune du groupe. Son histoire est inscrite dans les runes qui sont gravées tout au long de ma ceinture. J’ai ainsi, sur moi, toute l’histoire de ces fiers guerriers bannis du paradis. Je l’ai aussi bien gravée dans ma mémoire et dans ma chair, car sachez-le… je suis un survivant Kolgan : gardien de leur mémoire. »
Par Julien Lachapelle
Édit: Corrigé par Josyane, 26 septembre 2007